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Kerac’hallorc’h dans la tourmente

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Août 1939, paisible scène de battage à Kerac’hallorc’h à Gouesnou.

Nous sommes à la veille de la déclaration de la guerre. Joseph, 10 ans, est ce jeune enfant qui regarde son père, Louis, l’homme à la grande fourche. Joseph n’imagine pas alors les événements qui bouleverseront sa vie d’enfant. Sa maman, Antoinette, que l’on devine sous son grand chapeau de paille, derrière la batteuse, participe activement aux travaux d’été. Elle décédera brutalement en 1941, à 44 ans. Trois ans plus tard, le chaos de la libération clôturera une enfance que l'on imagine douloureuse.

Pourtant, les premiers jours d’août 44, l’espoir était là. Les soldats américains approchaient et avec eux la libération tant attendue. A Gouesnou cependant, cet espoir a vite fait place au cauchemar : le 7 août, dans le village voisin de Penguérec, 42 civils, voisins, amis, tomberont, fusillés et grenadés par les soldats allemands.

L’horreur et la tension sont à leur paroxysme dans la petite commune. C’est alors que les soldats allemands ont investi la ferme familiale pour y installer un poste d’observation et leur radio dans le grenier. Le 11 août à midi, alors que Louis passe à table avec sa famille, dans une ambiance que l’on devine lourde et angoissante, un soldat entre brutalement dans la pièce et, sous la menace de sa mitraillette, ordonne au chef de famille de quitter les lieux sur le champ.

Moment de surprise, de panique et d’effroi passé, Louis s’exécutera. Il demandera à ses commis de détacher toutes les bêtes et attèlera son cheval au char-à-banc, pendant que les sœurs se presseront pour ramasser quelques effets. Avec ses trois jeunes enfants et Anaïk la gouvernante, Louis quittera les lieux, abandonnant derrière eux leur univers qui deviendra le théâtre des violents combats qui s’engageront bientôt.

La famille se réfugiera à Bourg Blanc, abritée durant un mois dans un hangar agricole.

Revenant enfin début octobre dans sa ferme, Louis prendra sur place la mesure du désastre. Depuis le « Ty fourn », un des rares bâtiments encore debout, il y dresse un triste bilan dans un émouvant courrier adressé à sa sœur Amélie :

« …Pauvre Kerac’hallorc’h, dans quel état est-il ! De la maison, il ne reste plus qu’un amas de pierres. La maison neuve n’a pas été brûlée, mais c’est tout comme. Le mur donnant sur le jardin est rasé, la façade est un peu mieux. De la chambre neuve, nous avons pu retirer un lit et son sommier de dessous les décombres, ainsi que mon par-dessus, quelques photos, la tienne en particulier, ainsi que le groupe de la famille photographié peu avant la mort de notre chère Maman. Maintenant, Chère Amélie, j’essaye de mettre un peu d’ordre dans tout ce chaos, mais je n’y arrive pas. Tout fait défaut. D’outils il n’en reste plus ou presque, les brabants sont inutilisables, des chevaux, je n’en ai retrouvé que deux : un à la Martyre, l’autre à Lambézellec. Deux autres que j’ai trouvés tués auprès des crèches ainsi que trois vaches que j’ai enterrées dans le même trou de bombe. A présent, il me reste trois chevaux et une vache qui ne donne pas de lait. Aussi, si on ne vient pas à notre aide, je me demande ce que je ferai. En plus nous avons les champs dans un état : tout est labouré par les obus. On ne voit que grenades et obus partout, c’est un danger continuel… ».

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La ferme Quentel après les combats de 1944 - Aquarelle d’Amélie Quentel

Passé les moments d’abattement et de découragement, comme tant d’autres, Louis se relèvera. Il mettra sa famille à l’abri d’une « baraque » de briques, s’attachera à reconstruire la ferme, les bâtiments, nettoiera ses terres des obus, armes et explosifs dispersés et relancera progressivement l’activité agricole avec l’aide de son frère Benoît et de ses enfants.

A la fin des années 60, Louis passera progressivement le relais à Joseph, qui, avec son épouse Jeannine, seront acteurs de la formidable révolution du monde agricole breton. Anticipant la vague des produits fermiers, Jeannine y créera dans les années 80 une gamme de produits laitiers, puis, face à la progression urbaine grignotant peu à peu les terres, la ferme prendra un nouveau virage, devenant, avec la 4ème génération, un lieu événementiel couru dans la région.

La « Ferme Quentel » s’est aujourd’hui métamorphosée en un endroit bucolique et festif. L’activité événementielle, touchée par la crise sanitaire, traverse aujourd’hui une période difficile.  Néanmoins, les quelques impacts de balles dans le granit de certains bâtiments témoignent de ce passé douloureux et rappelle que les difficultés d’aujourd’hui sont toutes relatives au regard des événements tragiques traversés par nos aînés.

                                                                                                                                                             ©Jean-Marc Quentel

Histoire de l’ex-voto de l’église Saint-Gouesnou

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Cet ex-voto est un don de M. Jean Kerboul (Gouesnou 1919- Plabennec 2011). Il est venu en remerciement de la grâce accordée par la Sainte Anne pour sauver Jean du naufrage du Contre-torpilleur Chacal sur lequel il était embarqué en mai 1940. Initialement il se trouvait dans la chapelle Sainte-Anne. Il a été replacé dans l’église Saint-Gouesnou à une date qui reste à préciser.

Circonstances du naufrage

Le 21 mai, le Chacal avait reçu pour mission, avec le Jaguar et le Léopard, d’aller détruire les installations portuaires de Calais, Dunkerque et Boulogne afin que ces ports ne puissent pas être utilisés par les Allemands. L’envahisseur s’était déjà rendu maître du terrain grâce à l’efficacité des divisions blindées du général Guderian. Le contre-torpilleur Chacal effectua sa mission de démolition à Calais dans la nuit du 23 mai et reçut l’ordre de rejoindre le Léopard aux abords de Boulogne. Les deux contre-torpilleurs reçurent l’ordre de tirer sur plusieurs objectifs militaires et notamment les colonnes allemandes qui montaient sur Boulogne le long de la côte. Ils firent l’objet de nombreuses attaques de la Luftwaffe (Stukas Ju87). Le 24 mai, peu après 08h00 du matin, quatre bombes firent but sur le Chacal. Deux d’entre-elles mirent hors-service les machines, deux autres provoquèrent un incendie majeur en zone avant. Le Chacal était déjà bien mal en point, lorsque deux autres bombes explosent sous sa coque ! Après avoir lutté désespérément contre l’incendie et pris soin des blessés l’équipage fut contraint d’abandonner le navire. Les marins les plus chanceux furent recueillis par des bâtiments français et rejoignirent Cherbourg ou la Grande-Bretagne, les autres, comme Jean Kerboul, sautèrent à l’eau et s’accrochèrent à ce qu’ils pouvaient pour en faire un radeau de fortune. Ils restèrent six heures entières à la dérive avant d’atteindre enfin la côte près d’Ambleteuse. Epuisés, les rescapés s’éparpillèrent sur le territoire et firent de leur mieux pour échapper aux Allemands. Jean Kerboul erra ainsi pendant un mois avec quelques camarades dans les environs d’Ambleteuse avant de décider finalement de rejoindre la Bretagne par ses propres moyens. C’est-à-dire à pieds ! Pendant ce temps les familles avaient été informées du naufrage du Chacal. Certains marins avaient même rejoint Brest et racontèrent l’horreur du naufrage. Jean Kerboul était déclaré disparu. Cependant ses parents s’étaient refusés à croire au pire et gardèrent toujours l’espoir de son retour. Les parents Kerboul furent finalement exaucés puisque le 29 juillet 1940 Jean rejoignit sa famille après avoir parcouru quelques 850 km, à pieds et sans papier. Il avait échappé aux bombes ennemies, à la noyade et aux patrouilles allemandes de Boulogne jusqu’à Gouesnou. Le ciel, selon la famille Kerboul, devait en être remercié ! 

Auteur de l’ex-voto

l’ex-voto  a été réalisé par M. François Le Borgne en 1946. François était marin d’Etat comme Jean Kerboul. Atteint de tuberculose, il avait été débarqué à Mers-El-Kebir au printemps 1940 et renvoyé dans ses foyers pour se soigner. Faire des maquettes de bateaux était sa passion ! Pendant la guerre, où l’on manquait de tout, il en avait même fait en os de lapin ! François Le Borgne était Gouesnousien et ami de la famille Kerboul.

Pourquoi la maquette du « Pourquoi-pas ? » et pas celle du Chacal ?

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A la fin des années 30, le trois-mâts barque d’exploration polaire « Pourquoi-Pas ? IV » devient le symbole français des naufrages. En effet le 16 septembre 1936, le « Pourquoi-Pas? » est pris dans une tempête cyclonique et se brise sur les récifs d’Alftanes en Islande. Un seul marin en réchappera ! On dénombra 17 disparus et 23 morts dont le commandant Charcot, véritable héros national. Tous les Français de l’époque ont été particulièrement touchés par le destin tragique de ce navire et de son équipage…Il n’est donc pas surprenant que le trois-mâts « Pourquoi-Pas » ait été préféré à la maquette du contre-torpilleur Chacal, bâtiment militaire qui rappelait trop une guerre que l’on essayait d’oublier.

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