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Le pentacle du porche

      Il existe dans le porche de l’église de Gouesnou, construit de 1640 à 1664, un motif décoratif sur le socle de la troisième colonne à gauche en entrant qui intrigue certains de nos visiteurs et qu’ils confondent avec l’étoile de David (étoile à six branches) ; il s’agit ici d’un pentacle, une étoile à cinq branches – on dit aussi pentagramme -  souvent associé à des rites sataniques et à la magie noire alors qu’en fait son origine très ancienne est tout autre et porte un sens religieux. Chez les Egyptiens une telle étoile inscrite dans un cercle représentait la Douât, la région de l’au-delà, où le soleil voyageait pendant les 12 heures de la nuit et où résidaient les défunts. Chez les Hébreux il fait allusion aux cinq livres du Pentateuque, la Torah, qu’aurait écrits Moïse. Dans la tradition chrétienne le chiffre cinq c’est l’homme avec ses cinq extrémités (cf. l’homme de Vitruve), c’est les doigts de la main, les cinq sens en y incluant l’esprit, les cinq plaies du Christ. Appelé le sceau de Salomon par les Musulmans, il incarne les cinq piliers de l’Islam et il se retrouve depuis 1915 sur le drapeau du Maroc.

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    Dans son sens profane c’est bien sûr au fameux « homme de Vitruve » de léonard de Vinci auquel on pense ; il représente un homme debout, les jambes écartées et les bras tendus, ce qui forme un pentagramme, dans la perfection mathématique duquel les pythagoriciens trouvent le nombre d’or 1,618. Il ne faut pas oublier non plus que certains y voient l’emblème de Baphomet et c’est souvent à cela que l’on pense d’abord ; dans le satanisme il est alors légèrement renversé avec une chèvre à l’intérieur et les cornes de la Bête sont représentées par les deux pointes de l’étoile.

   Les niches du porche, au nombre de treize, prévues à l’origine pour le Christ – au-dessus des portes géminées – et les douze apôtres sont de nos jours vides. Selon la légende, elles auraient été détruites à la Révolution et enterrées, pour certains, dans l’angle nord du cimetière. Elles sont encadrées de colonnes reposant chacune sur un socle décoré sur trois côtés de fleurs, de symboles religieux tout à fait classiques (IHS) mais la présence de ce pentacle est inhabituelle ; petit clin d’œil du sculpteur ?

©DPC2021

Les symboles des évangélistes

Dans l’imagerie traditionnelle, les quatre évangélistes sont souvent représentés par des figures symboliques : Matthieu par un homme ailé, Marc par un lion ailé, Luc par un taureau ailé et Jean par un aigle. On utilise un terme un peu savant, le tétramorphe, c’est-à-dire les quatre formes, pour en parler. Ce symbolisme a voulu identifier les quatre auteurs des évangiles canoniques aux « quatre vivants » qui, au chapitre IV (v.6, 8) de l’Apocalypse de Jean, sont décrits comme entourant le trône de Dieu. C’est aussi là une reprise de motifs babyloniens qui figuraient les quatre points cardinaux dominant l’univers entier. De la même façon Ezéchiel, prophète de l’exil à Babylone au VIème siècle av. JC, décrivait au chapitre I    (v. 5, 15) les quatre êtres qui, dans sa vision, entouraient le char de Dieu comme ayant chacun quatre faces : d’homme, d’aigle, de lion et de taureau.

Cette représentation date des temps anciens, dès St. Irénée, évêque de Lyon (130-208) ; cependant l’application de chacun des êtres vivants (homme, lion, taureau, aigle) aux évangélistes respectifs n’était pas toujours la même. Celle de St. Jérôme (347-420), basée sur l’ouverture de chaque évangile, (Matthieu-homme, Marc-lion, Luc-taureau, jean-aigle) s’est imposée en occident. A Chartres, par contre, les évangélistes sont portés sur les épaules des quatre grands prophètes : Matthieu-Isaïe, Marc-Daniel, Luc-Jérémie, Jean-Ezéchiel.

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Dans l’église de Gouesnou on retrouve le tétramorphe à quatre endroits différents : D’abord sur le vitrail du transept nord dont c’est le thème principal mais qui ne suit pas l’ordre canonique puisque l’on trouve Matthieu, Jean, Luc et Marc, chacun ayant son symbole sous sa représentation ; volonté délibérée ou erreur au montage ? C’est une œuvre de Jacques Le Chevallier datée de 1972. Les tons sont vifs, vert, rouge et jaune car il convient d’éclairer à cause de l’exposition au nord. Il est à noter que J. Le Chevallier a utilisé le même thème, les mêmes motifs et la même disposition dans un vitrail de Sizun mais là les couleurs sont plus douces car l’œuvre est orientée au sud.

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Un reliquaire en vermeil (27 cm) fait par Paul Brunet, orfèvre, 13, rue de Grenelles à Paris (1871-1913) et qui renferme l’ampoule avec la relique de St Gouesnou porte sur sa base le tétramorphe ; les motifs or sont inscrits dans des ronds sur un fond d’émail bleu. Ce reliquaire est dit articulé et pédiculé. 

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Une croix de procession en bonze (80 cm sans la hampe) datant de la fin du XIXème, début XXème porte également les quatre symboles : L’aigle de Jean domine la tête du Christ, l’homme ailé de Matthieu est à ses pieds, le lion ailé de Marc est près de la main droite et le taureau ailé de Luc  près de la main gauche.

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Enfin dans la sacristie se trouvent quatre statues en bois (70 cm) qui ont survécu aux destructions de 1944 ; elles sont en ronde bosse et représentent chacune un évangéliste avec son symbole à ses pieds. On peut noter aussi deux petits détails intéressants : les manches des évangélistes portent des boutons de manchette et chacun est représenté à un âge différent avec une barbe qui s’allonge avec l’âge et une chevelure qui diminue pour la même cause ; le plus jeune est St. Jean, imberbe mais très chevelu tandis que St. Matthieu est pratiquement chauve et possède une belle et longue barbe.

DCP©2020

L’oreille coupée

Parmi ce qu’il est convenu d’appeler Arma Christi, ou les instruments de la Passion, on trouve représentés différents objets faisant référence à des moments de la Passion du Christ. Parmi les plus connus il y a sans doute le coq qui fait allusion au reniement de Pierre ( Mt XXVI,69à 75, Mc XIV, 30 et 66 à 72, Lc XXII, 34 et 54 à 62, Jn XVIII, 17 à 27 ), la couronne d’épines, la bourse de Judas contenant les 30 pièces d’argent, les clous, les tenailles etc….Ces objets servent à visualiser, à expliquer de façon imagée les épisodes douloureux de cette partie de la vie du Christ qui va de son arrestation au Mont des Oliviers jusqu’à sa mort sur la croix au Golgotha. Ils servaient aussi à la dévotion des fidèles ainsi qu’à expliquer à un public d’illettrés ce qui s’était passé.  C’est une iconographie très ancienne, beaucoup utilisée au Moyen Age, et on en trouve des exemples sur des manuscrits, des panneaux sculptés, des croix au bord des routes, des calvaires, des fresques ou même, comme c’est le cas à Pleumeur-Bodou, sur le menhir de Saint Uzec, une façon de christianiser un monument païen !

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Dans l’enclos paroissial de Gouesnou, on retrouve ces instruments en trois endroits au moins. D’abord sur la maîtresse vitre du chœur qui dépeint la Passion et la Crucifixion, on trouve dans la lancette de gauche quand on lui fait face, au niveau du troisième panneau en remontant, un coq rouge juste au-dessus de l’auréole de Jésus. Les deux panneaux du bas de cette lancette sont d’ailleurs consacrés au reniement de Pierre que l’on voit devant un brasero dans la cour de Caïphe, le grand prêtre. D’autres instruments sont présents, comme la coupe de l’agonie dans la lancette du milieu ainsi que la lanterne et les bâtons de la foule dans la lancette de droite, sans parler de la couronne d’épines, du roseau qui sert de sceptre, et du manteau de pourpre.

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Devant le monument aux Morts existe un calvaire mutilé par la guerre mais restauré en 2004; il date du XIXème puisque la date de 1869 y figure sur les armoiries du Pape Pie IX. Son socle resté intact possède sur la face nord et la face sud un bel exemple des instruments de la Passion. On y voit la croix, la couronne d’épines,  la lance, l’éponge au bout d’un bâton, les tenailles, les trois clous, le marteau, une échelle et même la Sainte Face sur le voile de Véronique.

Cependant c’est probablement sur les portes géminées du porche nord que ces motifs apparaissent dans toute leur splendeur. Construit entre 1640, avec une étape en 1642, et 1664, il a été reconstruit et restauré à partir de 1950 ainsi que les portes de style Renaissance qui ont perdu leur polychromie d’origine mais que l’on peut imaginer semblable à celle d’une porte de l’église de Saint servais et de celle de l’ossuaire voisin. Chaque porte comporte cinq panneaux où un ange sur un fond de fleurs présente des instruments de la Passion ; il est à noter que chaque ange porte une tunique différente. Le détail est le suivant : sur la porte de gauche, le fouet de la flagellation et la lance de Longin (Jn XIX, 34), la lanterne et le bâton de l’arrestation, l’échelle de la déposition de croix, la couronne d’épines, les dés du tirage au sort et la tunique d’un seul tenant du Christ. Sur la porte de droite nous avons : les clous et les tenailles, la bourse et les trente pièces d’argent, la croix, l’aiguière et le bassin de Ponce Pilate, le poteau ou la colonne de la flagellation.

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Si l’on compare les portes « modernes » avec les anciennes, comme on peut les voir sur des photos ou des cartes postales, on se rend compte qu’à part une différence évidente et inévitable de style tout est en apparence conforme sauf deux panneaux : le panneau gauche en haut de la porte gauche qui montre bien la lance de Longin mais aussi une branche d’hysope à laquelle selon Jean (XIX, 29) fut attachée une éponge imbibée de vinaigre et le panneau gauche de la porte droite qui se trouve juste au-dessus de la poignée. Si l’on grossit une photo prise le 7 juin 1897 (l’auteur précise qu’il est 7 h00 du matin !), on s’aperçoit que le décor est différent bien qu’il reste difficile à déchiffrer ; Il ne s’agit pas du tout d’un ange porteur d’une croix ; on voit un ange qui brandit un glaive dans la main droite et, bien sûr, on pense tout de suite à Pierre. Et on devine aussi ce qui ressemble à une oreille dans le haut du motif. Et de sa main gauche pend un fouet, ce fouet qui de nos jours se retrouve sur le panneau gauche de la porte gauche. Un texte de louis Le Guennec (1878-1935) daté de 1916 sous le titre « Autour du Moulin Blanc » qui se trouve dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère de l’année en question (page 284) nous apprend que lors d’un passage à Gouesnou Le Guennec visite l’église et découvre  : « Un détail amusant sur l’un des panneaux de la porte sculptée du porche : L’oreille du pauvre Malchus est demeurée collée au glaive de Saint Pierre que tient l’un des anges porteurs des instruments de la Passion ». Cette originalité que le Guennec trouve « amusante » n’a pas été reconstituée et a été remplacée par l’ange porteur de la croix. Pourquoi ? Est-ce parce que pour ouvrir la porte il fallait appuyer sur le panneau en même temps que l’on poussait sur la poignée, ce qui avait pour effet d’user le décor à cause du frottement des mains ou alors s’agit-il de surépaisseurs de peinture qui noyaient les détails, peut-être ?? Nul ne peut dire pourquoi ce choix a été fait. Ce motif n’est pas très courant dans les représentations plus récentes mais on en trouve un exemple dans l’église de Tréflévénez où au cours de travaux et lors du déplacement d’un retable dans le transept sud une fresque ancienne (1697) a été découverte peinte sur le mur ; elle a pu être restaurée. On y voit figurer une Crucifixion avec de chaque côté les instruments de la Passion ... dont un glaive avec une oreille collée sur la lame ! Cet épisode est mentionné par les quatre évangélistes, chacun parlant du « serviteur du grand prêtre » (Mt XXVI, 51 et Mc XIV, 47) qu’un disciple frappe avec un glaive pour défendre Jésus, son maître, au moment où on vient l’arrêter au Mont des Oliviers. Cependant seuls deux d’entre eux nous donnent des précisions puisque Luc (XXII, 49) et Jean (XVIII, 10) nous disent que c’est l’oreille droite qui est tranchée. Luc précise même que « Jésus lui touchant l’oreille le guérit » et Jean donne le nom de celui qui frappe avec un glaive, c’est Pierre, et du serviteur à qui on coupe l’oreille ; il s’appelle Malchus, nom qui vient de l’hébreu melec’h, c’est-à-dire roi.

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Si à Tréflévénéz l’oreille se trouve placée sur le glaive parmi un catalogue d’instruments, à Gouesnou l’objet et l’épisode étaient théâtralisés en quelque sorte par la présence de l’ange. On peut certes regretter que le motif ait disparu, et que de cassée qu’elle était peut-être, cette oreille ait tout simplement été coupée ! Ceci prouve aussi que, malgré les apparences, une restauration n’est pas toujours faite à l’identique puisque dans le cas de Gouesnou un panneau a été complètement éliminé et un autre transformé…… 

DCP©2020

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